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Conformité du dispositif de révision des statuts pour exclure un associé de SAS


L’évolution du régime d’adoption des clauses d’exclusions statutaires dans les SAS

Insérées dans les statuts d’une société, les clauses d’exclusion d’un associé permettent de contraindre sa sortie à certaines conditions. Depuis de nombreuses années, ces clauses ont suscité un abondant contentieux . Récemment, la question de leur compatibilité avec le droit de propriété des associés a fait l’objet de nouveaux débats à l’occasion de l’adoption de la loi Soilihi.

Initialement, l’article L. 227-19 du code de commerce prévoyait que les clauses des statuts permettant d’imposer à un associé de céder ses actions, ne pouvaient être adoptées qu’à l’unanimité des associés.

En d’autres termes, en cas de litige entre associés , et si les statuts ne l’avaient pas prévu, l’associé majoritaire ou le groupe majoritaire ne pouvait modifier les statuts pour provoquer l’exclusion de l’associé minoritaire dont les droits étaient protégés.

L’article L. 227-19 du Code de commerce a été modifié par la loi 2019-744 du 19 juillet 2019 (loi Soilihi). L’exigence d’unanimité pour l’adoption ou la modification d’une clause statutaire d’exclusion d’un associé d’une SAS a été supprimée. Une telle clause peut désormais être adoptée ou modifiée par une décision collective des associés « dans les conditions et formes prévues par les statuts »[1].

Par conséquent, dans l’hypothèse d’une SAS où les statuts ne prévoient :

  • qu’une majorité simple pour modifier les statuts,
  • ou une majorité qualifiée pour modifier les statuts ne permettant pas à un associé minoritaire de bénéficier d’une minorité de blocage,

l’associé minoritaire se trouve en position de faire l’objet d’une exclusion provoquée par l’associé majoritaire.


La constitutionnalité de l’article L. 227-19 du code de commerce

Le conflit survenu à l’occasion de l’exclusion d’un associé et ancien salarié de l’entreprise

Tel est précisément la situation qui est survenue à l’occasion d’un litige relatif à l’exclusion d’un actionnaire et salarié d’une société par actions simplifiée qui avait démissionné de ses fonctions en octobre 2020.

L’article 11 des statuts de ladite société stipulait que la qualité d’actionnaire était réservée aux personnes ayant la qualité de salarié et/ou de mandataire social. En cas de perte de cette qualité, il était prévu que le président de la société convoque l’assemblée générale extraordinaire (AGE) afin qu’elle se prononce sur l’exclusion de l’associé. La clause statutaire précisait que l’associé dont l’exclusion était envisagée ne participerait pas au vote.

Or, depuis un arrêt du 23 octobre 2007, aucune clause statutaire d’exclusion d’un associé ne peut prévoir que l’associé dont l’exclusion est soumise au vote des associés soit privé de son droit de participer à cette décision et de voter sur la proposition.

L’exclusion de l’associé et ancien salarié ne pouvait donc être votée qu’à la condition d’une modification préalable de la clause d’exclusion.

Lors de l’assemblée générale extraordinaire de janvier 2021, les associés ont ainsi modifié l’article 11 des statuts en autorisant l’associé dont l’exclusion est considérée à participer au vote sur cette décision.

Par décision du même jour, l’AGE a exclu l’associé en question, celui-ci ayant participé au vote sur son exclusion.


La constitutionnalité du dispositif issu de la loi 19 juillet 2019 contestée par l’associé exclu

L’associé exclu a alors assigné la SAS en nullité des décisions adoptant la modification statutaire et de celle l’excluant de la société et de la cession de ses actions. A cette occasion, il a notamment soumis quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) au tribunal de commerce Paris qui les a transmises à la Cour de cassation.

Le 12 octobre 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil Constitutionnel quatre QPC portant sur les deux articles du Code de commerce relatifs aux clauses d’exclusion d’un associé d’une société par actions simplifiée.

Dans les deux premières QPC, la compatibilité de l’article L. 227-16 du Code de commerce (qui admet les clauses d’exclusion d’associés dans les SAS) aux articles 2 et 17 de la DDHC (consacrant la constitutionnalité du droit de propriété) était contestée. Plus précisément, le demandeur soutenait que cet article portait atteinte au droit de propriété de l’associé sans nécessité publique et sans que cette atteinte soit justifiée par un motif d’intérêt général.

Les deux dernières QPC contestaient la conformité de l’article L. 227-19 du Code de commerce au droit de propriété alors que cette disposition permettait « la cession forcée par l’associé de ses actions sans qu’il ait consenti à l’adoption de la clause statutaire d’exclusion l’autorisant »[2].

La constitutionnalité du dispositif validée par le Conseil Constitutionnel

Saisie de ces QPC, la Cour de cassation a reconnu leur caractère sérieux tout en soulignant qu’il résultait de ces dispositions qu’ « une société par actions simplifiées peut désormais, par une décision non prise à l’unanimité de ses membres, priver un associé de la propriété de ses droits sociaux sans qu’il ait consenti par avance à sa possible exclusion dans de telles conditions, de sorte que ces dispositions seraient de nature à porter atteinte au droit de propriété et à ses conditions d’exercice »[3].

En renvoyant ces questions au Conseil Constitutionnel, la Cour de cassation a également saisi l’occasion pour préciser que ces dispositions « qui suppriment l’exigence d’unanimité pour l’adoption ou la modification d’une clause statutaire d’exclusion dans les SAS, ont pour objet et pour effet de régir les effets légaux du contrat de société »[4] Elles « sont, par suite, applicables aux sociétés par actions simplifiées créées antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi ».

L’article L. 227-19 du Code de commerce dans sa version en vigueur depuis la loi du 19 juillet 2019 est donc applicable aux sociétés par actions simplifiées constituées antérieurement à cette date.

Sur le fond, le Conseil Constitutionnel a quant lui jugé le 9 décembre 2022 que les dispositions litigieuses étaient conformes à la Constitution[5]. En effet, les juges ont notamment relevé que par ces dispositions, le législateur a entendu garantir la cohésion de l’actionnariat d’une entreprise et éviter les situations de blocage émanant lorsqu’un associé s’oppose à une telle clause. Ils soulignent aussi que la clause doit reposer sur un motif conforme à l’intérêt social et à l’ordre public et ne doit pas être abusive. Pour finir, les juges motivent leur décision en rappelant que l’exclusion d’un associé donne lieu au rachat de ses actions et que la décision d’exclusion peut être contestée devant un juge. Tels sont les motifs ayant conduit le Conseil à considérer que l’atteinte au droit de propriété en résultant n’est pas disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi.

Les dispositions litigieuses du Code de commerce ont donc été jugées conformes à la Constitution et ne seront donc pas abrogées, confirmant la possibilité de modifier les statuts d’une SAS afin de permettre l’exclusion de l’un de ses actionnaires.

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[1] Cons. Cons. 9 décembre 2022, n°2022-1029

[2] Cass. Com. 12 octobre 2022, n°22-40.013

[3] Cass. Com. 12 octobre 2022, n°22-40.013

[4] Cass. Com. 12 octobre 2022, n°22-40.013

[5] Article L. 227-19 Code de commerce