février 11, 2022
Analyse | Prise en compte des cryptomonnaies dans l’actif disponible d’une société
Selon la règle posée par l’article L. 631-1 du code de commerce, l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire dépend de la capacité du débiteur à faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Selon la formule consacrée, l’actif disponible est constitué « des éléments d’actifs figurant au bilan d’une liquidité telle qu’ils permettent de faire face aux dettes exigibles ». Ainsi, à l’exception des disponibilités, des chèques de banque ou des réserves de crédit, seuls les actifs immédiatement réalisables peuvent être considérés comme faisant partie de l’actif disponible. Les valeurs cotées en bourse en faisaient traditionnellement partie.
L’adoption croissante des crypto actifs comme moyens de paiement par les acteurs économiques classiques doit conduire à s’interroger sur leur prise en compte à ce titre par les tribunaux de commerce. Les prestataires sur actifs numériques dont l’activité est liée à la gestion de portefeuilles de cryptomonnaies sont naturellement les premiers concernés. Mais l’acceptation des paiements en cryptomonnaies par les entreprises ainsi que le recours aux placements sur les marchés des cryptoactifs devraient amplifier le mouvement.
En matière d’actifs numériques, des problématiques spécifiques de deux ordres sont susceptibles de se poser.
L’appréciation de la valeur d’un crypto actif à l’épreuve de la volatilité
A ce jour, la valeur monétaire d’un actif numérique est extrêmement fluctuante compte-tenu de l’importante volatilité des principales cryptomonnaies. Ainsi, si l’on s’en tient aux deux principales cryptomonnaies, le bitcoin a connu une hausse d’environ 60 % entre le 28 septembre et le 20 octobre passant d’une valeur unitaire d’environ 35.000 euros à 56.000 euros en trois semaines. L’ethereum avait lui augmenté d’environ 125% entre la fin juillet et début septembre. Leur valorisation a depuis diminué de moitié en l’espace de deux mois.
La méthode classique de détermination de la capacité d’un débiteur à faire face à son passif exigible peut donc paraître inadaptée au regard d’une telle volatilité, peu sécurisante.
A contrario, un portefeuille composé de stablecoins sera peu soumis aux fluctuations des marchés crypto et se rapprochera des valeurs mobilières traditionnelles. Il en va de même de certains produits dérivés tels que les contrats à terme.
Par ailleurs, il doit être précisé qu’à l’image des valeurs mobilières, les crypto-monnaies peuvent être porteuses d’une plus-value latente qui se réalisera (et deviendra donc taxable) lors de la liquidation du portefeuille du débiteur. Ainsi, les gains qui sont tirés des cessions de cryptomonnaies à titre occasionnel sont imposables, en principe, selon le régime d’imposition des revenus financiers. A l’inverse, lorsqu’il s’agit d’une activité habituelle du débiteur voire de son activité professionnelle, la cession de crypto-monnaies relèvera d’une imposition selon le régime des revenus d’activité (bénéfices industriels et commerciaux ou bénéfices non commerciaux).
Quel que soit le régime d’imposition applicable, l’impôt afférent à la plus-value qui sera constatée au jour de la réalisation de l’actif doit nécessairement être anticipé dans le cadre de l’élaboration d’un plan.
La difficile appréciation de la liquidité au regard de la diversité des crypto actifs
D’autre part, selon la composition du portefeuille de cryptomonnaies, celui-ci est susceptible de caractériser en tout partie un actif disponible ou non.
En effet, le critère jurisprudentiel est celui de la capacité du débiteur à réaliser immédiatement l’actif.
Le délai de réalisation d’une transaction sur une plateforme d’échanges et son inscription dans la blockchain étant quasi instantané, la qualification d’actif disponible dépendra donc essentiellement de la liquidité du marché, au regard de la nature de l’actif numérique. Ainsi, compte-tenu du volume journalier de transactions des principales crypto-monnaies (bitcoin, ethereum, tether, usd coin, cardano, solana, etc.) il fait peu de doute que celles-ci doivent être considérées comme de l’actif disponible.
En revanche, la question pourra être plus délicate concernant d’autres cryptoactifs dont la liquidité peut être bien plus faible. Quelle est – à ce jour – la liquidité d’un NFT ? Leur diversité est telle que cette question pourrait être source de discussions abondantes.
A titre d’exemple, selon une jurisprudence classique, les immeubles sont exclus du périmètre de l’actif disponible. Cela se comprend aisément puisqu’un immeuble ne peut être cédé immédiatement compte-tenu des délais de réalisation d’une vente immobilière (droits de préemptions, délais de rétractation, etc). En revanche, la question est moins évidente de prime abord pour les parcelles des metaverses qui constituent des tokens non-fongibles et dont la propriété peut être cédée par une simple inscription sur la blockchain.
La démocratisation des futures (contrats à terme) pourra, de la même manière, poser des difficultés quant à savoir s’ils peuvent être intégrés à l’actif disponible au regard de leurs conditions contractuelles et de la liquidité afférente.
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