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La compétence des juridictions françaises retenue contre une plateforme d’échanges de cryptomonnaie

Dans un précédente publication, nous nous interrogions sur les implications que pouvaient entraîner, d’une part, la domiciliation à l’étranger de l’immense majorité des exchanges et, d’autre part, l’insertion de clauses compromissoires dans les conditions d’utilisation de leurs services sur la compétence des tribunaux français.

Dans un récent arrêt, la Cour d’appel de Montpellier a eu l’occasion de se prononcer sur une problématique annexe, s’agissant de l’application d’une clause attributive de juridiction stipulée dans les conditions d’utilisation de l’exchange Spectrocoin.

Les circonstances du litige sont assez classiques : un investisseur français avait ouvert un compte sur l’exchange lituanienne Spectrocoin, plateforme permettant de créer un portefeuille de cryptomonnaies et de réaliser du trading. Celui-ci avait placé sur son portefeuille blockchain un certain nombre de cryptomonnaies dont essentiellement des Nems (Xem). Ayant été victime d’un piratage, son compte a été débité à hauteur du gain qu’il avait réalisé le 23 août 2018 lui occasionnant une perte à due-concurrence.

Estimant que l’exchange avait une part de responsabilité dans la survenance du piratage, l’utilisateur du service a tenté de rechercher sa responsabilité devant les juridictions françaises au titre des obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

En réalité, cette affaire est éclairante en ce qu’elle apporte des éléments de réponse précieux quant aux problématiques de compétence territoriale en matière de contentieux avec les exchanges et les spécificités posées par le trading de cryptomonnaies et, plus généralement, d’actifsnumériques .

En l’occurrence, les conditions générales recelaient des clauses attributives distinctes en fonction de la société opérant le service. Dans le cas précis de l’utilisateur, les clauses attributives conféraient une compétence territoriale au profit des tribunaux de Vilnius ainsi que des Iles-Vierges-Britanniques.

Or, on le sait, en droit interne et conformément aux dispositions de l’article 48 du code de procédure civile, les clauses attributives de juridiction de compétence ne sont valables qu’entre commerçants. Cette disposition, qui est d’ordre public, vise notamment à protéger les consommateurs dans le cadre des contrats qu’ils concluent avec des professionnels.

Cependant, le litige étant survenu entre un investisseur français et une société de droit lituanien, il y a lieu à appliquer le droit de l’Union européenne, lequel envisage de manière plus large la validité des clauses attributives de juridiction de compétence.

Le règlement dit « Bruxelles I bis » du 12 décembre 2012 précise en son article 25§1 que lorsque les parties à un contrat désignent comme juridiction d’attribution celle d’un Etat membre, celle-ci est exclusivement compétente pour connaître des litiges qui surviendraient entre eux. En théorie, la clause désignant les tribunaux de Vilnius et des Iles Vierges Britanniques pouvait donc valablement s’appliquer.

Toutefois, l’objectif de cette réglementation européenne est également de protéger la partie considérée comme faible au contrat (consommateur dans un contrat de consommation, salarié dans un contrat de travail…). Ainsi, tout consommateur a la possibilité d’intenter une action contre son co-contractant devant les juridictions de son propre Etat de résidence, et ce quel que soit l’état dans lequel est domicilié le défendeur. En effet, l’article 18§1 du même règlement dit « Bruxelles I Bis » dispose que: « l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l’Etat membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l’autre partie devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié ».

La définition de consommateur est entendue de manière stricte selon une jurisprudence constante de la CJUE. Dans un arrêt Johann Gruber c. Bay Wa AG du 20 janvier 2005, la Cour a notamment eu l’occasion d’apporter la précision suivante : « seuls les contrats conclus en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel, dans l’unique but de satisfaire aux propres besoins de consommation privée d’un individu, relèvent du régime particulier prévu par ladite convention en matière de protection du consommateur en tant que partie réputée faible ». Dans cette affaire, la qualité de consommateur de l’utilisateur du service se trouvait donc naturellement au cœur du débat.

 Pour écarter la compétence des juridictions françaises, Spectrocoin faisait donc valoir que celui-ci avait :

  • participé lui-même à la création et au développement de la technologie sur laquelle repose le portefeuille en monnaie virtuelle dit « XEM »;
  • été membre du Conseil d’administration de la fondation NEM qui avait développé ce dispositif de cryptomonnaie;
  • le contrat de dépôt et d’échange de crypto-monnaie qu’il a ouvert a un rapport direct avec son activité professionnelle, le don initial de monnaies XEM qu’il a reçu étant la contrepartie de sa participation au développement du système d’unité de compte virtuel;
  • et le relevé des opérations qu’il a accomplies établissant une activité habituelle de cessions et d’échanges de cryptomonnaies dans le but d’en tirer profit.

L’exchange faisait également valoir que sur le plan de la fiscalité des crypto-monnaies, le Conseil d’Etat, et désormais l’administration fiscale, considèrent que l’imposition des gains résultant d’une opération de cession d’unités de bitcoin relèvent de la catégorie des revenus professionnels BNC et sont imposables à ce titre. L’argument était, en tant que tel, très contestable puisqu’il revenait à dénier à tout contribuable français la possibilité d’être considéré comme un consommateur, en se fondant sur le régime d’imposition, cadre juridique assigné au justiciable.

La Cour a logiquement relevé que si la plus-value réalisée est imposée pour les particuliers dans la catégorie des revenus professionnels BNC, cela ne saurait conduire à exclure systématiquement la qualité de consommateur dans les contrats dont l’appréciation est soumise aux tribunaux. Ce raisonnement, logique, doit évidemment être approuvé.

En revanche, bien qu’ayant relevé que l’utilisateur « ne justifie pas exercer une activité professionnelle quelconque, l’importance des sommes qu’il a reçu en créant son portefeuille de crypto-monnaies laissant présumer qu’il s’agissait de sa seule source de revenus n’est pas un élément déterminant pour sa qualification ou non de consommateur, aucune disposition du règlement ne prévoyant un seuil au deça duquel le montant lié aux contrats énumérés à l’article 17 du règlement est considéré comme important ou non, étant précisé que le contrat en cause comporte aussi bien la chance de faire fructifier ses gains que le risque de les perdre, s’agissant d’un marché reposant sur une monnaie virtuelle distincte et indépendante de la monnaie légale. » et « que cette activité était régulière (200 opérations en 9 mois) », la Cour a néanmoins estimé que « ces éléments ne sont en tous les cas pas déterminants pour qualifier à l’égard de l’appelant le contrat litigieux comme ayant une finalité professionnelle ». Et retient, en conséquence, la compétence des tribunaux français pour connaître de ce litige.

Ce faisant, la Cour d’appel de Montpellier semble avoir pris le contrepied de la jurisprudence en matière d’opération de Bourse selon laquelle « lorsqu’il apparaît que ces opérations de bourses revêtaient, en raison de leur nombre, de leur importance, comme de leurs fins spéculatives [la qualification d’activité professionnelle] ».

A cet égard, la décision est moins évidente.

Si le recours à des plateformes d’échanges situées à l’étranger peut présenter de nombreux intérêts, d’un point de vue judiciaire, cette décision rappelle que les utilisateurs peuvent se trouver dans une situation compliquée pour faire valoir leurs droits et accéder à un juge.

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