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Les abus de biens sociaux en SARL

La société à responsabilité limitée (SARL) figure parmi les formes juridiques d’entreprises les plus courantes en France.

Dirigée par un ou plusieurs gérants, nommés en assemblée générale par les associés, ces derniers sont investis des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société.

Néanmoins, il n’est pas rare qu’un gérant de SARL commette au cours de ses fonctions des actes d’une gravité telle qu’il se retrouve sous le coup de poursuites pénales .

Parmi ces infractions phares du droit pénal des affaires figure l’abus de biens sociaux.

Un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation[1] rendu en matière de prêts intragroupes – en l’occurrence familiaux – est venu rappeler un certain nombre de critères qui permettent de clarifier les conditions auxquelles ceux-ci peuvent être consentis.

Plusieurs décisions avaient d’ores et déjà permis de dégager un certain nombre de critères. Celle-ci vient conforter ce corpus.

Après des rappels préalables sur le régime juridique de l’abus de biens sociaux (1), un focus sur l’apport de cet arrêt pour les prêts est proposé dans le présent article (2)

1. Rappel préalables: Généralités sur l’abus de biens sociaux 

Qu’est-ce qui constitue un abus de biens sociaux ?

L’article L. 241-3, 4° du Code de commerce relatif aux infractions concernant les sociétés commerciales définit l’abus de biens sociaux comme le fait pour un gérant de mauvaise foi d’user des biens de la société de façon contraire à l’intérêt social en agissant à des fins personnelles ou pour favoriser une autre entreprise dans laquelle le gérant serait directement ou indirectement intéressé.

La notion de « biens sociaux » renvoie à l’ensemble des éléments tant mobiliers (fonds sociaux, baux, brevets, matériels, etc.) qu’immobiliers (locaux, terrains, etc.) appartenant au patrimoine de l’entreprise.

À titre d’exemple, il a été jugé que constituait un abus de biens sociaux le fait pour un dirigeant :

  • de mettre à la charge de la société l’achat d’un véhicule personnel et les frais de ses communications téléphoniques personnelles[1] ;
  • de se faire rembourser des frais sans justification et de verser une rémunération à un tiers au titre d’un emploi fictif[2] ;
  • de procéder à des prélèvements élevés sans justification, d’utiliser dans un intérêt personnel la carte bancaire de la société, de se verser une rémunération fictive sans contrepartie et de faire participer financièrement sans contrepartie son entreprise[3].

Quels sont les éléments constitutifs de l’abus de biens sociaux ?

Pour que soit caractérisée l’infraction, il convient de démontrer cumulativement les faits suivants :

L’usage contraire à l’intérêt social des biens de la société

L’usage peut être caractérisé de différentes façons.

Alors que le terme laisse sous-entendre une appropriation d’un élément du patrimoine de l’entreprise, l’usage peut aussi être réalisé lorsque le gérant utilise temporairement un bien, voir le restitue à la fin de son usage.

Ainsi l’infraction peut être consommée lorsque le gérant se sert momentanément d’un logement ou d’un véhicule de l’entreprise pour des besoins personnels et contraires à l’intérêt social de l’entreprise.

Cette dernière précision est fondamentale puisque la loi pénale étant d’interprétation stricte, l’abus de bien sociaux ne peut être condamné que si le gérant procède à une utilisation antinomique à l’intérêt de la société. Ainsi, la Cour de cassation considère que le simple usage par le gérant du papier en-tête de la société au profit d’une autre n’est pas contraire à l’intérêt social[1].

Notons que la loi n’apporte pas de définition de l’intérêt social de l’entreprise. La doctrine étant divisée sur cette notion juridique, on peut considérer qu’elle fait non seulement référence à l’intérêt des associés mais aussi à celui des tiers de l’entreprise (tels que les créanciers, fournisseurs, clients, etc.). D’autres auteurs considèrent que la notion enveloppe uniquement la recherche du profit par les associés[2].

Dans tous les cas, il appartiendra aux juges du fond d’apprécier si les faits commis sont contraires à l’intérêt social.

L’intérêt personnel du gérant

Le texte d’incrimination précise que l’infraction suppose de démontrer que les agissements du gérant ont été poursuivis à des fins personnelles.

Ces agissements peuvent aussi s’entendre du favoritisme opéré par le gérant au bénéfice d’une autre entreprise dans laquelle il serait directement ou indirectement intéressé (p.ex. en étant salarié ou dirigeant de cette société ou juste en relations d’affaires avec celle-ci).

A contrario, lorsque le gérant agit sans intérêt personnel et alors même que ses agissements seraient défavorables pour la société, l’infraction n’est pas constituée.

L’intérêt personnel du gérant peut être tant matériel (p.ex. lorsque le gérant se verse des rémunérations dépourvues de toute contrepartie[1]) que moral (p.ex. lorsque le gérant cherche à maintenir de bonnes relations avec des personnalités politiques[2]).

L’élément intentionnel de l’infraction: la mauvaise foi du gérant

Enfin, classiquement, l’infraction ne peut être caractérisée que si le gérant avait conscience que l’acte commis était volontairement contraire à l’intérêt de la société.

L’étude de la jurisprudence de la Cour de cassation montre que l’intention frauduleuse du gérant se déduit de l’atteinte à l’intérêt social des faits visés. En effet, et selon une jurisprudence abondante, dès lors que l’intérêt social a été méconnu, les prélèvements sociaux sont présumés avoir été faits dans l’intérêt personnel du mandataire social[1].

Quelles sont les peines encourues ?

L’article L. 241-3, 4° du Code de commerce prévoit que le délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375.000 € d’amende.

Des circonstances aggravantes peuvent porter la peine à sept ans d’emprisonnement et 500.000 € d’amende lorsque l’infraction a été réalisée ou facilitée :

  • au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;
  • par l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger.

À ces peines peuvent s’ajouter des peines complémentaires prévues par l’article L. 249-1 du Code de commerce prévoyant notamment l’interdiction :

  • d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ;
  • d’exercer une profession commerciale ou industrielle ;
  • de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour leur propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale.

Toutes ces interdictions peuvent être prononcées cumulativement.

Précisons enfin que toutes ces peines sont aussi applicables aux dirigeants de fait (c.à.d. les personnes assumant dans les faits la gestion de la société « sous le couvert ou au lieu et place de ses représentants légaux »[1]).

Quelle action engager en cas d’abus de biens sociaux ?

L’action publique exercée par le parquet

Les poursuites peuvent d’abord être engagées par le ministère public, à la suite d’une plainte déposée auprès de la police, la gendarmerie ou du procureur de la République ou du signalement des faits délictueux par un tiers, tel que le commissaire aux comptes ou une instance représentative du personnel. Néanmoins, le principe d’opportunité des poursuites peut amener le parquet à ne pas enclencher d’action, en décidant de classer l’affaire sans suite ou en ayant recours à une procédure alternative aux poursuites.

Le délit d’abus de biens sociaux se prescrit par six ans, conformément à l’article 8 du Code de procédure pénale.

Constituant un délit instantané, le point de départ de la prescription est fixé au jour où ont été accomplis les faits délictueux. Ainsi, si ces actes se renouvellent, la prescription ne commence à courir qu’à partir du dernier acte litigieux.

L’action civile au nom de la société lésée

Dans le cas où le parquet décide de ne pas enclencher l’action publique, la société lésée peut alors déposer une plainte avec constitution de partie civile qui sera instruite par un juge d’instruction.

Les dispositions légales qui incriminent les délits d’abus de biens sociaux visant à protéger les sociétés de leurs gérants malveillants. L’action civile doit donc être exercée par les représentants légaux au nom de la société, victime des abus.

En conséquence, l’associé d’une société victime d’un abus de biens sociaux n’exerçant pas l’action sociale mais agissant à titre personnel« est irrecevable à se constituer partie civile, sauf à démontrer l’existence d’un préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant directement de l’infraction ; »[1]. Il est va de même pour les créanciers sociaux[2], les salariés[3] ou encore le comité d’entreprise[4], leur préjudice étant indirect par rapport à celui subi par la société.

Il va de soi que le dirigeant qui a commis un abus de biens sociaux ne va pas de sa propre intiative engager des poursuites à son encontre.

L’article L. 223-22 du code de commerce réserve ainsi aux associés la possibilité d’agir – en lieu et place du dirigeant social – en réparation du préjudice subi. Cette action ut singuli permet aux associés de déclencher l’action civile pour le compte de la société.

2. Les spécificités des prêts intragroupes en matière d’abus de biens sociaux

Si l’usage des fonds sociaux caractérisant un abus de biens sociaux consiste en premier lieu dans l’appauvrissement pur et simple de la société, il peut également résider dans l’octroi d’un prêt.

C’est le cas lorsque :

  • le rachat par une seconde société des actions d’une première société par le biais d’un emprunt bancaire en réalité supporté par cette dernière (Cass. Crim. 9 mars 2011, n°10-81.131)
  • le dirigeant d’une société fait souscrir un prêt par cette société afin de mettre en réalité les fonds à disposition d’une autre société qu’il contrôle également (Cass. Crim. 5 octobre 2011, n°10-88.212).

Le cas des groupes de sociétés ayant des dirigeants communs a donné lieu à de nombreux arrêts desquels on a pu dégager plusieurs critères de régularité de tels prêts. La difficulté posée par les groupes de sociétés réside dans le fait qu’il peut être opportun que l’une des structures du groupe disposant d’une trésorerie excédentaire consente un prêt à une autre structure qui en aurait besoin. Si la première structure s’appauvrit dans l’intérêt d’une autre société, on peut penser que cette opération n’est pas réalisée dans son intérêt. Néanmoins, son intérêt peut être préservée si cette opération est bénéfique pour le groupe dans son ensemble.

Le célèbre arrêt Rozenblum est venu dégager trois critères cumulatifs qui font échapper à la qualification d’abus de biens sociaux les concours financiers consentis par une société à une autre appartenant à un même groupe. Il faut ainsi que ledit concours :

  • soit dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe ;
  • ne soit pas démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées
  • n’excède pas les possibilités financières de celle qui en supporte la charge

Ainsi, il a été jugé que des concours financiers excédant les capacités financières de la société prêteuse sans contrepartie financière caractérisait le délit d’abus de biens sociaux sans que le fait justificatif du groupe ne puisse être invoqué.

A contrario, l’arrêt rendu le 7 décembre 2022 illustre les conditions auxquelles un prêt peut être valablement consenti entre sociétés d’un même groupe. En l’occurrence, il a ainsi été retenu pour écarter la qualification que (1) lesdits prêts étaient consentis sur une période d’un an moyennant un taux d’intérêt de 5 % qui a donc bénéficié à la société prêteuse, (2) et que ces prêts s’inscrivaient dans un fonctionnement usuel des sociétés familiales au gré des besoins de liquidités des différentes sociétés dont avait d’ailleurs bénéficié un temps la société prêteuse.

Cette solution semble logique puisque la contractualisation de l’intérêt caractérise la contrepartie nécessaire au prêt. L’existence d’une trésorerie nécessaire couplée à la courte durée du prêt tendent pour leur part à démontrer que ce concours n’excédait pas les capacités financières de la société prêteuse.

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[1] Cass. crim., 5 juin 2013, n°12-80.387

[2] Cass. crim., 24 avr. 1971, n°69-93.249

[3] Cass. crim., 28 janv. 2004, n°03-81.345 (l’abus de biens sociaux aurait privé les salariés d’une prime calculée en fonction des bénéfices de la société)

[4] Cass. crim., 7 juin 1983, n°83-91.210


[1] Mémento Sociétés commerciales 2023, éd. Francis Lefebvre, n°10100


[1] Cass. crim., 3 févr. 1970, n°68-90.038


[1] Cass. crim., 24 févr. 2010, n°06-83.951

[2] Cass. crim., 14 nov. 2007, n°06-87.378(en l’espèce le directeur de la Police nationale et un conseiller du président de la République)


[1] Cass. crim., 24 sept. 2008, n°07-88.371

[2] Guinchard, Serge et Debard, Thierry. « Lexique des termes juridiques 2022-2023 », 30e éd., DALLOZ, p. 596 sous « Intérêt social »


[1] CA Paris, 9e ch. sect. A, 6 juill. 1992, n°92/2856

[2] CA Paris, 9e ch. corr. sect. A, 13 déc. 2000, n°00/01508

[3] CA Paris, 9e ch. corr. sect. A, 17 janv. 2000, n°99/05269


[1] Cass. crim., 7 déc. 2022, n°22-80.874