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Droits des actionnaires minoritaires : Rappels et actualités juridiques

Ces derniers mois ont donné lieu à un nombre significatif de décisions rendues par la Cour de cassation en droit des sociétés ayant un impact significatif sur les droits des actionnaires minoritaires.

On se souvient qu’une décision particulièrement remarquée du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité avait été rendue le 9 décembre 2022. Par cette décision, le Conseil constitutionnel avait notamment jugé conforme le nouveau dispositif prévu par l’article L. 227-19 du code de commerce permettant aux associés de modifier les clauses statutaires d’exclusion sans requérir l’unanimité des associés.

A n’en pas douter, cette décision était largement défavorable aux actionnaires minoritaires qui se trouvaient ainsi privés d’un moyen de défense de leurs droits, au profit des intérêts des actionnaires majoritaires et in fine de l’entreprise.

Pour autant, cette décision s’inscrit dans un ensemble d’arrêts rendus par la Cour de cassation dont l’incidence sera certainement favorable aux actionnaires minoritaires.

Avant de se pencher sur ces décisions, un rappel des droits des actionnaires minoritaires et de leurs moyens d’action s’impose.

Rappels sur les droits d’un actionnaire minoritaire

Par définition, les droits de l’actionnaire minoritaire sont limités sauf clauses des statuts ou d’un pacte d’associés leur réservant un droit de veto ou d’information étendue sur certaines décisions de gestion.

Faute de clauses dérogatoires au droit commun des sociétés, les droits de l’actionnaire minoritaire sont essentiellement les suivants :

  • Droit de communication des principaux documents de la vie sociale de l’entreprise : comptes annuels, rapport de gestion, ordre du jour de l’assemblée, texte des résolutions, et selon les cas le rapport des commissaires aux comptes ;
  • Droit des associés de participer et de voter les décisions collectives ;
  • La participation aux bénéfices de la société c’est-à-dire le droit de percevoir une quote-part du résultat versé à titre de dividende à proportion de la quotité du capital social détenue

Ces droits fondamentaux des associés sont toutefois susceptibles de faire l’objet de manœuvres et/ou contournements .

C’est la raison pour laquelle différentes actions ont été prévues par le législateur afin de garantir leur effectivité.

Les moyens de défense des actionnaires minoritaires

Solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc devant le tribunal de commerce

Celui-ci aura pour mission de procéder à la convocation des associés à l’assemblée générale  , de mettre aux votes les résolutions et d’établir le procès-verbal relatant le résultat du vote.

À la différence de l’administrateur provisoire, le mandataire ad hoc n’est pas investi d’un mandat de gestion général mais intervient uniquement pour la réalisation d’une opération ponctuelle et limitée.

L’expertise de gestion

Chaque associé minoritaire représentant individuellement ou ensemble au moins 5% du capital social peuvent poser par écrit au dirigeant social des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion déterminées de la société.

A défaut de réponse dans un délai d’un mois ou à défaut de communication d’éléments de réponse satisfaisants, le ou les associés peuvent demander en référé au président du tribunal de commerce la désignation d’un expert qui aura la charge de rendre un rapport sur les opérations de gestion.

L’action en nullité d’une décision résultant d’un abus de majorité

Un associé minoritaire peut solliciter l’annulation d’une décision sociale prise contrairement à l’intérêt général de la société et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité des associés au détriment de la minorité.

Cela peut être le cas d’une décision visant à fixer des rémunérations excessives pour le président ou gérant de la société[1], ou de mises en réserve des bénéfices pendant plusieurs années, privant l’associé minoritaire de la perception de dividende sans que l’activité ne le justifie [2], ou de la cession des biens de l’entreprise à une valeur très inférieure à leur valeur réelle au bénéfice d’une nouvelle société dont les associés majoritaires sont également associés[3].

L’action ut singuli

Dans l’hypothèse de fautes commises par le président d’une SAS ou le gérant d’une SARL, les associés peuvent agir au nom et pour le compte de la société selon l’action ut singuli.

Cette action permet aux associés minoritaires de défendre les intérêts de la société en dépit des actes commis par le président ou gérant qui ne va pas, par hypothèse, contester les actes qu’il a lui-même effectués.

L’action ut singuli est une action réservée aux associés réunissant une certaine quotité du capital de la société. Elle vise à obtenir la condamnation du dirigeant ayant commis une faute ayant causé un préjudice à la société.

Les récents apports de la Cour de cassation

Outre ces droits et actions protecteurs des droits des associés minoritaires, deux arrêts récents de la Cour de cassation sont venus préciser que :

  • Les violations des statuts de nature à influer sur le résultat du processus de décision font encourir une nullité de la décision d’assemblée générale ainsi prise ;
  • de telles opérations bien que décidées à la suite de convocations régulières peuvent s’avérer frauduleuses et par conséquent nulles si celles-ci procèdent d’une fraude.

Les moyens de défense d’un actionnaire minoritaire en cas de violation des statuts

Jusqu’à présent, la jurisprudence de la Cour de cassation limitait la possibilité de voir sanctionnée la méconnaissance des statuts d’une société par actions simplifiée par la nullité de la délibération :

« la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d’une société commerciale ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats et que sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n’est pas sanctionné par la nullité (Com., 18 mai 2010, pourvoi n° 09-14.855, Bull. 2010, IV, n° 93) »

Ainsi, en application de cette jurisprudence, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 5 juin 2014  avait ainsi rappelé que :

« Sur la validité des délibérations

Il est rappelé que, dans les sociétés commerciales, en vertu de l’article L.235-1, alinéa 2, du Code de commerce, la nullité d’une délibération sociale « ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre ou des lois qui régissent les contrats ». Et il est de jurisprudence constante que la violation d’une disposition des statuts ne constitue pas la violation d’une disposition impérative du droit des sociétés ou du droit des contrats, excepté dans le cas où cette clause statutaire serait la reprise d’une règle impérative du droit des sociétés.

Les délibérations prises en violation des règles statutaires ne peuvent donc pas être annulées et ne donneront droit qu’à des dommages-intérêts.« 

La Cour de cassation vient d’opérer un revirement significatif en énonçant désormais que :

« l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation. »

Il résulte ainsi de cette décision que la violation des statuts en tant que telle peut donc conduire à ce que la délibération soit annulée.  Cette extension semble bienvenue dans la mesure où elle vise à sanctionner les omissions ou manœuvres ayant conduit à l’adoption de décisions sans qu’une information complète n’ait été donnée aux associés.

La formulation de la Cour laisse toutefois subsister certaines interrogations. A ce titre, le critère dégagé quant à l’influence potentielle de la violation sur le résultat du processus de décision n’est pas exempt d’une forme d’imprécision. S’agit-il d’une influence théorique – par exemple l’envoi d’une convocation sans l’un des rapports obligatoires – ou d’une influence appréciée in concreto.

De fait, la violation des dispositions statutaires propres à la convocation des assemblées générales n’a pas d’incidence dans le cas fréquent où la société n’est détenue que par deux associés. Par définition, le vote de l’associé majoritaire, mandataire social, est suffisant pour que soit adoptée la délibération proposée quelle qu’ait été l’information donnée à l’associé minoritaire. Il en va naturellement différemment dans le cas où l’actionnariat est bien plus divisé.

Des précisions ultérieures semblent inévitables pour permettre d’apprécier l’impact exact de cet apport jurisprudentiel.

La protection des droits d’un actionnaire minoritaire en cas de fraude

Dans un arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation a ainsi jugé qu’une augmentation de capital est frauduleuse dès lors qu’elle est décidée par un associé égalitaire en l’absence de son coassocié aux seules fins de diluer la participation de ce dernier au profit du premier, alors que la société n’avait retiré aucun bénéfice de l’opération.

Le recours à la fraude n’est pas nouveau en droit des sociétés. En revanche, cet arrêt permet de revenir sur les indices permettant de caractériser ce type de fraude à l’occasion des opérations sur capital.

La régularité des convocations n’exclut pas le caractère frauduleux de l’opération

La fraude consiste justement à se soustraire à l’exécution d’une règle obligatoire par l’emploi d’un moyen qui rend le résultat inattaquable sur le terrain du droit positif. Par suite, une convocation régulière ne peut suffire à écarter le spectre de la fraude. Au contraire, lorsqu’une convocation, régulière en apparence, masque une mise à l’écart sciemment orchestrée le spectre de la fraude se précise.

Les modalités de l’opération de financement empêchent les autres associés d’y souscrire

Les juges doivent vérifier que les modalités de l’opération n’ont pas privé, en fait, un associé de la possibilité de souscrire à l’augmentation de capital. Ainsi, l’utilisation par un associé de son compte courant, comme en l’espèce, est souvent significative car, à défaut d’une telle créance, les autres associés devront trouver en urgence les fonds suffisants pour souscrire à l’augmentation ce qui peut leur être difficile, voire impossible.

L’opération dilutive est réalisée au profit exclusif d’un associé tout en étant sans intérêt pour la société

La finalité de l’opération est enfin prépondérante dans l’analyse des juges : ainsi, si la fraude est écartée lorsque l’effet dilutif attaché à l’augmentation de capital est limité, elle est généralement retenue lorsque l’opération a pour finalité de diluer la participation d’un associé à l’avantage exclusif d’un autre, tout en ne procurant aucun intérêt pour la société.

En l’occurrence, la cour d’appel, avait constaté que l’augmentation de capital par incorporation du compte courant d’associé n’avait généré aucune nouvelle trésorerie pour la SCI, contrairement à la finalité affichée. De plus, cette opération s’était faite dans un contexte de conflit entre les associés, caractérisé par les procédures judiciaires en cours, qu’elle avait abouti à augmenter considérablement le pourcentage de détention du capital de l’associé, devenu propriétaire de 98 % du capital. Le résultat étant donc à son avantage exclusif et, de surcroit, sans apport proportionnel à la valeur des biens immobiliers de la société.

L’ensemble de ces éléments a logiquement conduit la Cour a retenir le caractère frauduleux de l’opération, en estimant que la véritable finalité de l’opération avait consisté à diluer la participation de l’associé victime de la fraude. 

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[1] Cass. Com. 1er juillet 2003, n°1077

[2] CA Paris, 19 mai 2015, n°14/10363

[3] Cass. Com. 24 mai 2016, n°14-28.121